Le portail français «Alternatives-Economiques» a publié une interview avec Ilan Scialom, géopolitologue et chercheur associé à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), portant sur le conflit arméno-azerbaïdjanais du Haut-Karabagh. L’AZERTAC présente l’intégralité de cette interview.
« Question : Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de ce conflit :
Ilan Scialom : Ce territoire azerbaïdjanais, occupé par l’Arménie depuis plus de 25 ans, est l’épicentre d’un conflit qui ne cesse de s’envenimer et a fait des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés depuis 1991. Malgré un cessez-le-feu en 1994, les combats se poursuivent de manière sporadique. En avril 2016, la guerre des Quatre-Jours a fait près de 200 morts. Dernier épisode, le 4 juillet dernier, deux civils, une grand- mère et sa petite fille de 2 ans, ont été tués par un tir de mortier des forces arméniennes. Cette attaque a délibérément visé le village d’Alkhanli, situé à 5 km à l’intérieur du territoire azerbaïdjanais. Les réactions cette attaques furent nombreuses. Ainsi dans une lettre ouverte, Norica Nicolai, le rapporteur du Parlement Européen pour l’Azerbaïdjan et Ryszard Czarnecki, vice-Président du Parlement européen, ont fermement condamné l’agression arménienne et déclaré que « l’assassinat délibéré de civils, femmes et enfants, est inacceptable en toutes circonstance et doit être immédiatement arrêté. » Et pour Erkin Alikhanov, directeur du département des relations internationales au bureau du procureur général d’Azerbaïdjan « cette récente attaque vise à torpiller tout processus de négociations et à engager une guerre dans le Caucase qui dépasserait largement ce cadre ».
Question : Quelle est la conséquence la plus redoutée si jamais ce conflit larvé éclate ?
Ilan Scialom : Les conséquences d’un tel conflit sur la région seraient dramatiques, notamment au niveau environnemental. La centrale nucléaire de Metsamor, à une trentaine de km de Yerevan, la capitale arménienne, est vétuste et mal entretenue. L’AIEA a recommandé de la fermer mais les autorités refusent – la centrale alimente 40 % de la population arménienne. Cette décision pourrait être lourde de conséquences si le conflit venait à dégénérer.
Question : Où en sont les négociations diplomatiques ?
Ilan Scialom : La situation pourrait s’envenimer selon de nombreux observateurs, en raison d’une diplomatie laborieuse, qui ne parvient pas à produire de résultats tangibles. Or, ce scénario est loin d’être improbable, si l’on en juge par la faible implication de la communauté internationale sur cette question.
En effet, le dossier du Haut-Karabakh ne semble pas être une priorité. Malgré quatre résolutions internationales – la dernière en date, la résolution 884, adoptée au Conseil de Sécurité des Nations Unies, date de novembre 1993 et demande le retrait des troupes arméniennes-, l’occupation se poursuit. Un accord de paix n’a jamais été conclu entre les deux parties, uniquement des cessez-le-feu, violés continuellement. La récente attaque de civils et la guerre d’avril 2016 en sont les preuves les plus flagrantes.
Question : Quel est le rôle de la Russie ?
Ilan Scialom : Sur le terrain, le statu quo est intenable sur le long terme. Le groupe de Minsk, sous l’égide de l’OSCE, qui réunit entre autre la Russie, la France et les Etats-Unis, échoue depuis de nombreuses années à faire accepter ses tentatives de médiation. Mais en réalité, l’influence majeure de la Russie au sein du groupe de Minsk, bloque toute résolution et fait prévaloir un statu quo sur ce dossier. En effet, 5000 soldats russes sont déployés en Arménie, tandis que Moscou approvisionne en armes l’Azerbaïdjan. En promouvant cette stratégie d’équilibre, Vladimir Poutine a trois objectifs : garder le contrôle sur son « étranger proche » - l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont d’anciennes provinces soviétiques-, contrarier tout projet énergétique ayant pour objectif de concurrencer le gaz russe envoyé vers l’Union Européenne. Cette dernière s’est en effet engagée dans une politique de diversification de l’approvisionnement énergétique et a investi sur différents projets de gazoducs acheminant le gaz de la mer Caspienne vers le Sud de l’Europe. Enfin, le Kremlin cherche à éviter tout rapprochement entre Bakou et l’Union européenne. L’Azerbaïdjan, pays musulman et laïc, a approfondi ces relations avec Bruxelles depuis de nombreuses années, à tel point que de nombreux évènements majeurs européens s’y sont récemment déroulés, comme les Jeux européens en 2015 ou encore les Jeux islamiques, en mai dernier.
Question : Quelle solution à votre avis est-il possible d'envisager pour mettre fin à ce conflit ?
Ilan Scialom : Aux confins de l’Europe, des mondes turc, perse, russe et arabe, le conflit du Haut-Karabakh mérite une bien plus grande attention que celle que la communauté internationale lui porte actuellement. C'est tout le sens de la candidature de l'ancien ministre de la culture et actuellement ambassadeur de l'Azerbaïdjan à Moscou, Polad Bulbuloglu, au poste de Directeur général de l'UNESCO. C'est, en effet, la particularité du ferme engagement de Bakou dans le dialogue interculturel et sa forte volonté de défendre une culture de paix et de diplomatie collaborative qui rend cette candidature particulièrement prégnante pour trouver, enfin, une solution apaisée et concertée au sujet des relations entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, et pour apporter une solution au conflit du Haut-Karabakh. Nul doute que sa présence à Moscou depuis 2006, comme Ambassadeur de l’Azerbaïdjan, depuis saura de nature à faire que Moscou joue pleinement son rôle de médiateur dans la région. Car, du règlement de la crise au Haut-Karabakh dépend la stabilité de tout le Caucase-Sud.
C’est là une perspective particulièrement attendue et encourageante pour la stabilisation de la région. Tandis que le Moyen-Orient, au sud du Caucase, est en pleine reconfiguration et vise aussi à trouver la voie de l'apaisement et de la paix. Le retour de Moscou sur le devant de la scène s’avère aussi être un véritable test pour l’Union européenne et pour les Etats-Unis. Ces derniers devraient ainsi, dès lors, apporter un soutien plus important et pro-actif à Bakou au niveau politique, diplomatique et militaire. Car la petite République du Caucase est le seul véritable allié stable et fiable de Washington et de Bruxelles dans la région. Ces dernières auront bien besoin de ce précieux soutien ! »
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