Nous présentons le texte intégral de l'interview:
Sur les réseaux sociaux circule une photo virale de la femme de Nikol Pashinyan avec une kalachnikov à la main. On comprend par ce symbole qu’on veut fédérer la Nation sur le thème de la souveraineté et du patriotisme. Cela semble démontrer par là-même la fragilité du régime, réduit à recourir à ce genre d’artifice médiocre. La révolution de velours en Arménie n’a en effet nullement atténué l’aigre relation entre le Président et le Premier ministre.
Il n’est pas illogique que l’Arménie, qui est une terre qui n’accueille qu’une faible proportion de la population mondiale arménienne, propose un retour ou un repeuplement sur leur terres mythiques. Et ces Arméniens de Syrie ou du Liban cultivent très ouvertement leur ascendance arménienne. ( ces arméniens entretiennent encore leur sentiment nationaliste)
C’est un fait politique que l’Arménie est en train d’instrumentaliser à son bénéfice. Cela démontre une faiblesse ou une sorte de fragilité de la société arménienne qui, du coup, a besoin de s’appuyer sur un repeuplement pour étayer sa légitimité - ce qu’elle estime être sa légitimité- sur un certain nombre de territoires où elle exerce illégalement son autorité. D’une certaine façon, le repeuplement est donc une arme géopolitique pour démontrer que le Haut-Karabagh n’est plus une terre qui se vide de sa population, à l’image de la population de l’Arménie elle-même. Après l’épuration ethnique des Azerbaïdjanais, la population arménophone du Karabagh avait été tentée par l’émigration et Erevan s’efforce désormais de renforcer la démographie locale par des apports d’Arméniens de la diaspora. C’est ce qui explique l’appel aux populations d’ascendance arménienne et leur installation, comme cela a été documenté dans les rapports de l’OSCE, dans les territoires sous contrôle arménien.
C’est un phénomène qui va sans doute s’accélérer et s’intensifier au fur et à mesure du délitement d’autres pays, c’est une réalité.
Le groupe de Minsk a cessé d’exister déjà depuis une dizaine d’années. Le groupe de Minsk est inefficace. Tout le monde sait bien que le groupe de Minsk est une hérésie anachronique. Le groupe de Minsk répondait à un rapport de force qui était celui de 1992 (le groupe de Minsk est né de la situation géopolitique qui était celle de 1992). Le groupe de Minsk, de l’avis général, est aujourd’hui inefficace, inopérant et inutile.
Le droit international est un référent. Le droit international n’est pas du tout respecté en matière d’occupation territoriale par la force et le fait accompli.
Le droit international, malgré les quatre résolutions de 1992-1993, auxquelles l’Azerbaïdjan fait à juste titre référence, n’est pas respecté non plus. La question n’est plus de savoir si le droit international n’est pas respecté, mais pourquoi nous ne faisons pas davantage pour qu’il soit respecté. Nous y croyons plus que d’autres. C’est une question fondamentale qui fait que le droit international, qui s’appuie sur un système multilatéral ou multinational, est très fragilisé par l’incapacité à remplir sa mission, c-à-d prévenir, solutionner, trouver une issue aux conflits. La plupart des conflits trouvent une issue provenant de mécanismes parallèles au processus onusien.
Je crois que nous ne trouverons une solution aux conflits “gelés” au Caucase du Sud et dans la Mer Noire que si on ne s’appuie pas exclusivement sur le droit international, car le droit international depuis 1992 n’a pas bougé d’un iota pour résoudre les différents conflits qui surgissent de manière saisonnière.
Je veux dire que les vecteurs du droit international sont tellement fragilisés que les actions onusiennes et les processus de référence sont évidemment trop fragiles pour servir de base à la mise en oeuvre du droit international. Il faut donc réinventer un système international, c-à-d remettre en cause l’ONU, et il en sera question dans quelques jours à l’occasion de son 75e anniversaire. Il leur faudra sans doute tenir compte du fait que la diplomatie n’est plus seulement une diplomatie d’Etat à Etat.
Le droit international qui s’appuie, même fermement, sur un mécanisme de règlement international ne suffit plus pour faire face à la complexité des conflits.
Premièrement, ce ne sont plus seulement les Etats qui font la guerre. On se fait de moins en moins la guerre entre Etats. La question de la conflictualité au Caucase du Sud fait office “d’exception”. Il ne demeure que des tensions entre Etats.... Mais la conflictualité intraétatique est désormais dépassée, elle est remplacée par une conflictualité infraétatique. Des acteurs non-conventionnels, non-étatiques font la guerre aux Etats. Le droit international n’est donc plus en capacité d’assumer un cessez-le-feu. Comment peut-on faire la paix avec des groupes armés terroristes. On peut faire la paix avec des Etats qui siègent à l’ONU, avec l’épée de Damoclès de l’intervention des Etats pour faire respecter le droit international ou répondre à l’accusation de non-respect du droit international. Mais avec des acteurs qui ne respectent pas le droit international, qui ne le reconnaissent pas, et qui n’appartiennent même pas au système international, il est illusoire de faire la paix avec eux. Donc le système qu’on appelle le système de Westphalie, dans lequel les Etats s’assoient côte-à-côte et face-à-face, et ensuite font la paix, est un système qui a disparu malheureusement depuis une quinzaine d’années.
Pour solutionner les conflit “gelés” il faut multiplier les acteurs de solution. C’était la raison d’être du groupe de Minsk, qui implique trois pays. C’est désormais insuffisant. Il faudrait plus d’Etats participants. Il faudrait un groupe de Minsk +.
Le Caucase du Sud n’est pas isolé, il est lié à un agenda européen, à un agenda euroasiatique et à un agenda centre-asiatique.
La jonction qui va de l’Asie Centrale à l’Europe implique la stabilité du Caucase du Sud. Caucase du Sud (en particulier l’Azerbaidjan) est un corridor et une plateforme à la fois horizontale et verticale. L’Arménie, de son côté, n’est pas dotée d’une aussi bonne position géographique.
La géographie de l’Azerbaidjan le rend éligible à tous les dialogues avec tous les pays du monde. La géographie est plus forte que l’histoire et la géopolitique. Voilà pourquoi l’Azerbaïdjan est devenu aujourd’hui un point central du dialogue interculturel et inter-religieux.
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