L’AZERTAC présente ce reportage dans son intégralité.
« De nombreux réfugiés à Bakou rêvent désormais de pouvoir retourner dans leurs villes d’origine pour reconstruire une nouvelle vie.
C’est avant tout une histoire humaine tragique. Celle de près de 500 réfugiés qui vivent dans ce quartier excentré de Bakou, à Ganjlik, depuis près de trente années, et la première guerre du Karabakh, qui avait vu l’Arménie occuper leurs terres, les chasser, pour se retrouver dans la capitale dans des abris de fortune. Mais en tout, ils sont près de 800 000 à avoir fui la guerre. C’est aussi une histoire politique que celle de Rassül et de Aygün, un couple de réfugiés parmi tant d’autres, qui prend un tout autre sens, depuis trois mois, et la victoire de l’Azerbaïdjan, après 44 jours de combats contre Erevan, pour récupérer ce que le droit international avait reconnu leur territoire. Comme des centaines de milliers de leurs concitoyens, ils rêvent désormais de bientôt pouvoir retourner à Zenguilan et Gubadli, leurs villages d’origine pour reconstruire une nouvelle vie après trois décennies à Bakou.
Lui a 50 ans, elle 40. Tous deux sont nés au Karabakh. Leurs trois enfants, deux fils de 23 et 19 ans, une fille de 21, n’ont connu que la vie dans ce village, qui a des allures de campagne au milieu de la modernité de Bakou, avec ses maisons de bric et de broc, ses poulaillers, ses habitats extrêmement précaires, mais une forte solidarité entre tous ses habitants. Soutenus par le gouvernement, ils espèrent l’être aussi, lors de leur retour dans leur villes originelles. Mais qu’y trouveront-ils ? Dans quel état seront leur maison ? Leur jardin ? Beaucoup de ces villages du Haut Karabakh ont été détruits, réoccupés par les Arméniens, envoyés par Erevan, pour peupler ce territoire arraché à Bakou après trois ans de guerre en 1993, et qui viennent de fuir après la signature du cessez-le-feu du 10 novembre dernier, conclu par la Russie entre les deux frères ennemis et qui doit veiller au respect des engagements de chacun. Les maisons natales de Rassül et Aygün ne sont plus que poussière. La politique les dépasse mais pour eux, c’est une victoire pour le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, mais surtout pour nombre de ces réfugiés. Mais plus encore avant tout pour eux de manière égoïste, l’espoir de pouvoir rentrer chez eux au plus vite. Tous les réfugiés de l’histoire n’ont pas encore connu cette occasion unique dans leur vie de revenir « au pays ». Le pays est à un carrefour. Ce n’est pas le tout de gagner une guerre, il faut construire la paix.
Rassül explique, avec assurance et émotion, et un sourire, qu’une fois le feu vert du gouvernement, il repartira à Zenguilan pour reconstruire sa maison. Dans la société musulmane et azerbaïdjanaise, la femme suit son mari et Agnül le suivra sans hésiter, tout en étant très impatiente de retourner à Gubadli pour revoir l’école de son enfance. Il a promis d’y construire une seconde maison et a fait les économies pour, depuis qu’il fait ce boulot de chauffeur privé pour survivre. Mais il y a aussi les études des enfants à assumer. De toute façon, les plus jeunes, qui n’ont connu que Bakou, veulent rester ici pour étudier et faire leur vie. Ils n’ont pas les mêmes rêves que leurs parents. Le plus âgé les suivra pour les aider, celui qui a encore combattu pendant la dernière guerre comme son père lors de la première pour délivrer sa terre.
Ces derniers sont prêts à abandonner le deux pièces qu’ils ont ici et où ils vivent à 5, dans une précarité extrême, depuis près de trois décennies sans remords. Tout y est concentré au maximum : séjour, salon, salle de bain, cuisine, chambre à coucher. Promiscuité totale, zéro intimité. Pas de gaz par sécurité, et un maigre réchaud électrique pour la cuisine. Là-bas, tout sera mieux : l’air de la nature, la campagne, les souvenirs, les ancêtres. Même si la famille de Rassül est enterrée à côté de Bakou, il sait que ses gènes viennent du Karabakh. Mais il sait que la tâche sera âpre.
A ce stade en effet, beaucoup de villages de la région récupérée par l’Azerbaïdjan, ont été détruits ou laissés à l’abandon. Nombre de lieux de vie sont devenus des lieux de morts ou transformés : des mosquées sont devenus des étables et des bibliothèques ont été pillées. Le gouvernement a d’ores et déjà commencé à construire de nouvelles routes pour relier les principales villes libérées et Rassül se réjouit de pouvoir repartir à zéro là-bas. Comme le dit sa femme, on veut retourner sur place, même si c’est compliqué au début pour y vivre, au moins pour y mourir. Mais tous les deux ont le temps. Rayer d’un trait 27 ans de vie à Bakou ne sera pas facile. Mais le couple l’a déjà fait en 1994 dans de pires conditions : « Nous n’avons rien pu emporter avec nous à l’époque, sauf une casserole. Aujourd’hui, nous avons quand même quelques affaires ! » précise Aygün. Et le contexte était terrible : son mari venait de combattre contre les Arméniens et avait été blessé trois fois lors du premier conflit. Quand la guerre a démarré le 27 septembre dernier, les angoisses sont revenues car leur fils aîné a été mobilisé. Heureusement, il est rentré sain et sauf à Bakou et ils sont heureux de voir ce qu’elle appelle « la victoire de la justice » et surtout que son fils aîné est toujours vivant. Les deux n’ont pas de haine à l’égard des Arméniens en général. Le temps fera sûrement son travail pour tous. Ils veulent retrouver l’harmonie qui régnait dans la région avant. A tel point que si dans plusieurs années, un de leur enfant tombe amoureux d’un des Arméniens restés dans le Karabakh, ils n’éprouveront aucune haine, ni rejet. Et Rassül l’explique pour eux deux : « Nous sommes tous des êtres humains, et l’amour est un mystère. Nous ne nous y opposerons pas. Il y a eu beaucoup de mariages mixtes par le passé, et cela fait des siècles que nous vivons avec les Arméniens. Il y a eu un temps où la coexistence pacifique voulait dire à nouveau quelque chose, nous espérons que cela reviendra et au plus vite ».
Views: 297